Histoire d'ours
Anecdote faunique en cinq temps

Depuis quelques semaines, nous avons découvert ce que signifie l'expression: habiter "au pays de l'ours noir", pour emprunter le titre d'une brochure du Parc national de la Mauricie.

1-


Début octobre, un jeune ours noir entreprend de faire régulièrement à la brunante la tournée des pommiers sauvages du terrain, dévorant les fruits, cassant à l'occasion quelques branches et laissant partout de
massives et colorées "cartes de visite".

Ours noir

C'est mignon et sans conséquence. Cependant à partir de ce moment, lorsque nous circulons dans nos sentiers de randonnée forestiers, on prend l'habitude de parler fort et de chantonner à belle voix:

Nous habitions la Mauricie
Sous les plus beaux arbres du monde,
près d'une savane fleurie
et d'une rivière bleue et profonde...
(Le Petit Ours, Félix Leclerc)

2-


Mais l'ours s'enhardit et commence à se montrer plus tôt. Un jour vers 17h30, alors que je suis immobile depuis un certain temps sur le patio à essayer de photographier de jeunes urubus sur la falaise, je vois du coin de l'oeil passer une forme noire à 4-5 pieds de moi. C'est la bête qui fait le tour des plate-bandes de la maison et qui ne m'a pas vu. Je sursaute: il a tout aussi peur que moi et s'enfuit à toute vapeur. Le temps de décrocher le CoolPix de la Swarovski, il est déjà loin.

Ours noir

3-


Les anciens propriétaires de la maison avaient planté en façade un magnifique pommetier décoratif qui s'est couvert, cet automne, d'une quantité incroyable de pommettes rouge vif.

Ours noir

Mais était-ce une bonne idée? L'occasion faisant le larron,  l'ours décide une nuit de venir y festoyer. Au matin, nous retrouvons la plate-bande entourant l'arbre fortement piétinée et le sol jonché de branches cassées.

Ours noir

4-


Une fois le choc passé, nous décidons de réagir. Plan d'attaque! On suspend aux branches de l'arbre des draps, des assiettes d'aluminium et même un mobile. Puis on installe un projecteur pour éclairer la scène et voir ce qui s'y passe durant la nuit. Et ce soir-là, c'est la vigile.

Vers 21h00, la bête revient.

Ours noir

Première surprise, l'ours qui se présente n'est pas notre mignon petit ours noir des jours précédents,  mais un individu beaucoup plus gros, au pelage ravagé et l'air un peu bougon, pour ne pas dire méchant. Il commence par grappiller quelques fruits au sol; puis, sans aucune gêne et malgré notre éclairage et nos clinquants, il s'accroupit et d'un seul bond, saute directement dans l'arbre! Nous sommes un peu effrayés et de l'intérieur de la maison, nous assistons impuissants, mais fascinés, au spectacle qui se déroule à 15 pieds de nous.

Quiconque a vu un jour un ours grimper à un arbre s'en souviendra toute sa vie. Première méthode: comme un chat sautant en l'air pour attraper une proie, l'ours saute et se propulse directement sur les branches basses de l'arbre. Deuxième méthode: comme dans un dessin animé, il s'assoit au pied de l'arbre, regarde en l'air, puis tout doucement il se met à marcher à la verticale le long du tronc et grimpe jusqu'aux branches plus hautes. Les traces que laissent ses griffes dans l'écorce sont impressionnantes.

L'ours tombe aussi à l'occasion en bas de son perchoir: et quand ses 500 lbs heurtent le sol après une chute de sept ou huit pieds, le plancher de la maison tremble.

Tout l'arbre est secoué comme s'il y avait dehors une véritable tornade; pourtant, il n'y a pas un souffle de vent!. Hélène, un peu insultée de voir que nos efforts ont été inutiles, sort par l'arrière, monte au volant de la voiture, l'oriente en direction du pommetier et l'éclaire plein phares. Peine perdue! Les phares ne rejoignent que la base de l'arbre alors que l'ours fait bombance beaucoup plus haut. Il nous faut nous résigner à attendre que l'animal parte de lui-même. En fait, nous abandonnons notre vigile et laissons l'ours a ses agapes.

5-


Le lendemain, le spectacle est désolant. On enlève toutes nos bébelles inutiles et on réfléchit.
Hélène, qui a déjà enseigné dans une polyvalente, a l'impression d'être confrontée à un "Secondaire 2" turbulent! Elle décide alors de contre-attaquer.  Un peu poétiquement, on refuse de faire intervenir un agent de la faune (après tout, l'ours est chez lui) et on espère venir à bout de la situation par nous-mêmes. On nous a dit que l'ours, un peu myope, réagit surtout à l'odorat et au son. On va donc essayer de l'effrayer par le son.

Nouvelle vigile. Vers 21h00, l'ours revient et regrimpe dans ce qui reste du pommetier. À ce moment, on sort en trombe à l'extérieur et, tout en restant à courte distance de la porte d'entrée (prudence oblige), on commence notre spectacle son et lumière. Tandis que j'aveugle l'animal avec une puissante lampe de poche, Hélène entreprend une danse de l'ours improvisée et
, tout en gesticulant et en sautillant, frappe à tour de bras sur un gong balinais rapporté d'un voyage en Indonésie. Mémorable!

L'ours fige en plein milieu de l'arbre et ne bouge plus: il fait le mort. L'arbre lui-même s'immobilise, comme si le vent venait subitement de tomber.

On recommence le tintamarre.
Le vacarme se répercute dans toute la vallée et doit surprendre les voisins, mais peu importe, il faut ce qu'il faut!

Mais l'ours
ne bouge toujours pas. Comment se sortir de cette situation? On recule alors de quelques pas pour mieux réfléchir et, ô surprise l'ours, comme s'il attendait ce signal, profite de ce répit pour sauter en bas de l'arbre et s'éloigner lentement vers le boisé. Il s'arrête parfois et tourne la tête vers nous; on ne voit plus que ses deux yeux ronds brillants dans le noir, éclairés par la lampe de poche. Et chaque fois Hélène le sérénade à coup de gong balinais. Finalement, il rejoint la lisière du bois et disparaît de notre vue.

Il semble que l'astuce ait réussi; nous ne l'avons pas revu depuis. Mais le pommetier, lui...

Ours
                noir Ours
                noir
Avant
Après

 
Ce soir, ce sont quatre ratons laveurs qui se promènent sur les quelques branches restantes et mangent les dernières pommettes que l'ours a abandonnées.

Ours noir

Toute notre vie, nous nous rappellerons ces images incroyables d'un ours grimpant au tronc d'un arbre à peine à 15 pieds de nous, et son visage immobile qui nous fixe avec une expression indéchiffrable, la tête entourée  de pommettes rouge vif et de branches cassées. Je n'ai pu photographier correctement ces images; voilà pourquoi il nous faut plutôt les écrire
en espérant vous avoir amusés, tout en vous renseignant sur les moeurs de ce poids-lourd de la faune québécoise.



Yves Leduc et Hélène Baril
Saint-Jean-des-Piles, Mauricie, QC
Octobre 2004


P.S. Parmi les nombreux courriels reçus, nous retenons:

Cher Yves,
Je trouve qu'à ton histoire, il manque l'illustration du moment principal. Alors je t'envoie cette image."

Jean Baril
Ours noir
Montage Photoshop: Jean Baril
(avec le concours involontaire de Hergé)
Numérisation: Denis Baril
20 octobre 2004



Chère Hélène,
Vous n' êtes pas un peu vieux pour jouer aux Cadets de la forêt avec Ben?

Denise Poisson
26 octobre 2004
Les Cadets de la forêt (1963-/965) - Forest Rangers